Page:Gautier - Tableaux de Siége.djvu/182

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les brèves légendes, ironiques ou sinistres, écrites au bas des eaux-fortes, souvent au crayon, car la plupart sont avant la lettre. Il s’arrêta à une gravure représentant une maison traversée par une bombe, dont les planchers s’écroulent, entraînant, la tête en bas, la mère pressant son enfant sur son sein, la criada et le mari, pêle-mêle parmi les meubles fracassés — un sujet qui devait bientôt devenir pour nous une actualité terrible, et que le peintre espagnol a rendu avec ce mélange de réalisme et de caprice caractéristique de sa manière. Regnault admira la hardiesse des raccourcis plafonnants et la grâce étrange que l’artiste sait garder aux figures des femmes dans l’extrême horreur. Il remarqua aussi la pose si noble et si tragique de la jeune dame agenouillée qu’on fusille avec toute sa famille, aïeule, enfant à la mamelle, nourrice et servantes. Les pauvres diables étranglés par le garrote, leur navaja pendue au col, et portant sur la poitrine ces mots écrits « pour un couteau » attirèrent son attention, mais il s’arrêta plus longtemps à une planche d’un effet grandiose et sinistre : un champ de bataille jonché de cadavres que contemplent dans une attitude de