Page:Gautier - Tableaux de Siége.djvu/190

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façon hideuse, et les tons bleuâtres du crâne rasé donnent à ce chef un aspect étrange et fantastique. Le corps du supplicié a glissé sur les marches et ses bras renversés cachent à demi le moignon du col d’où le sang jaillit et se répand en flaques rouges sur la blancheur du marbre. Cette tache de pourpre, d’une incroyable richesse de couleur, est la note tonique, la dominante du tableau. Là, le sang a jailli avec force, éclaboussant les degrés ; ici il s’étale plus largement répandu. Plus loin, il coule en longs filets ou se coagule en gouttes épaisses ; cela est d’une vérité qui ne se devine pas. Il faut que le jeune artiste ait vu Tanger, quelque décapitation à l’yatagan, et l’on pourrait même croire que c’est ce spectacle qui lui a suggéré l’idée de sa composition.

« C’est un parti pris d’une rare audace d’avoir placé au milieu d’une toile cette grande plaque sanglante ; mais ici l’horreur n’est pas le dégoût. Au point de vue de l’art, il y a beauté. En regardant ces tons splendides, nous songions la comparaison homérique du sang coulant comme des écheveaux de pourpre sur la cuisse d’ivoire de Ménélas. Le vers d’Alfred de Musset :

Et taché de leur sang, tes marbres, ô Paros!