Page:Gautier - Tableaux de Siége.djvu/241

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interroge les ténèbres, écoute le moindre frisson d’herbe, comme le peau-rouge dans les forêts ; fait de longues marches, en silence, attaque, se défend, et, en beaucoup de circonstances, lorsque l’ordre des officiers ne peut parvenir jusqu’à lui, est obligé d’inventer des moyens de salut. Pendant de longs siècles, l’humanité n’a pas vécu d’autre sorte. Il a fallu bien de lentes améliorations pour arriver au bien-être compliqué dont nous jouissons sans nous en rendre compte, et presque sans nous en apercevoir.

Après des escarmouches heureuses, on amenait à la place d’Armes des pièces prises sur l’ennemi. Les canons prisonniers s’avançaient, ornés comme des trophées, tout fleuris de lilas et d’aubépine, — on était alors au commencement de mai, — traînés par des chevaux ayant des bouquets sur l’oreille. Les soldats du train, qui les conduisaient d’un air fier et superbe, portaient comme des palmes des branches en fleur. La foule se précipitait et faisait cortège, poussant des acclamations, et cela avait des aspects de triomphe antique qui nous rappelaient les peintures de Jules Romain et les cartons d’André Mantegna au château d’Hampton-Court. On dira que les canons