Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/319

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Champrosé, où votre suisse ne serait pas médiocrement étonné de s’entendre jeter un nom si uni.

— Tu raisonnes à merveille, cette chambre me paraît le plus nécessaire du monde.

— Je l’arrêterai dans la journée, puisque madame en tombe d’accord ; il faudrait ensuite un trousseau complet : fourreaux, déshabillés, casaquins, cornettes, car la garde-robe de Mme de Champrosé, toute bien fournie qu’elle soit, ne peut servir à Mlle Jeannette. Abondance de bien nuit quelquefois.

— Tu es sentencieuse comme un philosophe ; mais tu as raison : ce qui n’arrive pas toujours aux philosophes.

« Le trousseau est accordé ; mais que tout cela soit de bon goût. Je ne veux pas pousser le travestissement jusqu’à n’être pas jolie.

— Soyez tranquille, on vous aura des toiles fines qui ne vous blesseront point, des milleraies rose et blanc, ou blanc et bleu, des indiennes à petits bouquets et autres étoffes printanières fraîches et de peu de prix, que la saison autorise, et comme madame est blonde, et que ses cheveux sans poudre vont paraître davantage, il lui faudra de petits bonnets simples et coquets, où, vu l’état de Jeannette, nous pourrons mettre de la dentelle.

— Ce sera charmant, dit en frappant ses petites mains l’une contre l’autre, la marquise déjà tout enthousiasmée de ces toilettes, dont l’idée lui souriait comme à un gourmet celle d’un repas de pain bis, de crème et de fraises fait sur l’herbe, au printemps, devant quelque métairie.

— Madame serait du dernier mieux, même en torchon ; elle pare tout ce qu’elle porte, et d’ailleurs les choses n’ont pas toujours besoin de coûter beaucoup pour être jolies, et elle ne sera pas, je l’espère, trop rebutée de sa garde-robe de grisette.