Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/340

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Ces deux messieurs partis, Mme de Champrosé, sur qui Morphée semblait tout à l’heure distiller ses pavots les plus forts, faits d’expositions, de tragédies et de discours académiques, se trouva soudain plus éveillée qu’une chatte guettant un oiseau.

Elle se leva de la duchesse où elle était nonchalamment étendue avec les grâces mourantes d’une femme accablée, et fit deux ou trois tours par la chambre ; puis, se dirigeant vers la cheminée, elle tira le cordon de moire de la sonnette.

Au tintement argentin de la sonnette, Justine parut aussitôt, car elle sentait l’heure des conversations confidentielles arriver, et elle se tenait prête dans l’antichambre à se présenter au premier appel.

Justine était trop femme de chambre de grande maison pour ignorer combien il est avantageux pour une soubrette d’avoir voix consultative dans les choses de cœur de sa maîtresse.

Quand elle eut défait Mme de Champrosé, qui passa un grand manteau de lit de mousseline des Indes garni d’une dentelle de Malines large de trois travers de doigt, et mit sur le coin de l’oreille un petit bonnet le plus coquet du monde, dont les ailes en papillon faisaient le plus charmant effet, Justine fit mine de se retirer en adressant à sa maîtresse la question sacramentelle :

« Madame a-t-elle encore besoin de quelque chose ?

— Reste, Justine, je ne sens nulle envie de dormir, dit la marquise en se soulevant sur son joli coude rose enfoui dans un oreiller de batiste.

— Madame a quelque chose à me dire ?

— Voyez la maligne bête, avec son air étonné. Certainement, j’ai quelque chose à te dire.

— J’écoute, répliqua la soubrette en croisant l’un sur l’autre ses bras nus ornés de mitaines.

— Il faut que je commence moi-même, car tu affectes