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la nuit ? Il y a là un côté nouveau à rendre : la nuit n’est pas si noire qu’elle en a l’air, et que le croient communément les mortels vertueux qui se mettent au lit et s’endorment à neuf heures. Il y a peu de nuits complétement obscures, même dans nos climats du nord. Outre la lune, espèce de soleil blanc, vous avez les rayons des étoiles, mille vagues reflets du jour disparu ou qui va renaître, je ne sais quelle phosphorescence des objets. Un grand coloriste, qui étudierait la nuit con amore y trouverait des gammes de nuances d’une harmonie et même d’une variété surprenantes, des effets vraiment merveilleux et neufs ; toutes les minuties, toutes les misères impitoyablement trahies par le jour, disparaissent. Le jour est grossier, cynique, il n’épargne rien ; — la nuit, on n’aperçoit plus que les masses, les grands clairs et les grandes ombres : c’est la poésie, la mélancolie, le mystère. Et puis, s’il faut l’avouer, un des grands charmes de la nuit, à mes yeux, c’est que les bourgeois sont couchés, et laissent la place libre à la nature et à Dieu.