Page:Gautier - Zigzags.djvu/226

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 229 —

nuages ; je devins amoureux fou de ce talon, qui valait pour moi le visage d’Hélène ou de Cléopâtre. — Être amoureux d’un talon, cela ne s’est jamais vu ; c’est une bizarrerie incompréhensible. Et pourquoi donc, s’il vous plaît ? Un talon n’a-t-il pas des courbes gracieuses, des finesses de lignes admirables, des teintes charmantes ? Que ceux qui ne me comprennent pas aillent voir au Musée des Antiques les pieds de jaspe d’une Isis en basalte noire, et ils ne seront plus étonnés de ma passion. — Un secret pressentiment me disait que ce talon existait ; mais quelle babouche, quel brodequin, quel soulier le contenait ? Où trouver mon idéal ? Je n’avais d’autre ressource que le hachich, magicien fidèle qui évoquait l’objet de mon amour. Une chose qui semblera incroyable, et qui est pourtant vraie comme toutes les choses incroyables, c’est que je ne m’étais jamais représenté ce talon accompagné d’un corps ; à peine si je voyais le reste du pied, comme l’adorateur d’une femme qui a de beaux yeux, et qui ne s’attache pas aux autres traits du visage. J’étais