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de la servilité orientale, perçait cependant quelque chose de doucereusement cruel, de voluptueusement perfide, dénotant une race ennemie de la nôtre : c’était bien l’homme d’un pays dont le tigre est le chat, d’une contrée pleine d’idoles aux cent bras, aux nez en trompe d’éléphant, d’arbres prodigieux, de fleurs gigantesques et de poisons violents. Les boucles d’oreille de cuivre qui scintillaient à côté de ses joues tannées, sa longue robe de mousseline, un peu frestelée de crotte par en bas, lui donnaient un air féminin en désharmonie avec la dureté de ses traits, empreints d’une nostalgie évidente.

La présence de ce pauvre Indien au milieu de la Cité de Londres fit faire à ma pensée un saut de quelques mille lieues, et je vis monter dans une brume enflammée des minarets étincelants, des coupoles d’or, des colonnades monstrueuses, et toutes les énormités des illustrations de Daniell. Je regardais passer le rajah de Lahore, assis sur le dos d’un éléphant, à côté de sa maîtresse aux dents peintes en bleu,