Page:Gauvreau - Au bord du Saint-Laurent, 1923.djvu/58

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Peu à peu le jour s’était levé, serein, radieux, inondant de ses rayons attiédis les falaises du Nord, les îles au large, les îlots à l’entrée de la baie et le village groupé sur la Pointe autour de la chapelle.

Ce matin-là on ne voyait plus la mer, c’est-à-dire que les glaces amassées le long de la côte sud avaient formé un pont solide en se réunissant entre elles, et l’on ne distinguait plus où finissait le pont ni où commençait la mer. On voyait bien ici et là ce qu’on appelle des saignées en termes marins, mais partout de la glace, de la glace vive, vaste miroir flottant, immobile, serein comme le grand ciel bleu qu’il réfléchissait en lui.

Le paysan canadien qui sort de sa maison au matin, a deux choses à accomplir avant de commencer tout travail quelconque : c’est d’abord de faire le signe de la croix (pratique qui tombe et s’en va comme bien des bonnes choses du vieux temps) et de jeter un coup d’œil au fleuve, si le cultivateur vit au bord de la mer, ou de regarder de quel côté souffle le vent, s’il habite l’intérieur des terres.

Donc ce matin de décembre 1839, les gens des Trois-Pistoles avaient jeté les yeux sur la mer et étaient restés étonnés. Un spectacle nouveau, inaccoutumé s’offrait à la vue. Des points noirs luisants, mobiles, mouvants se détachaient nettement sur la glace. Et il y en avait à l’infini, depuis le bas de l’île aux razades jusqu’au haut des dernières Rassades, ces rochers arides qui semblent se diriger éternellement vers Saint-Simon dont ils ne sont pas éloignés.

Ce mouvement, cette vue, ce va et vient d’êtres inconnus étaient bien de nature à surprendre un peu les gens que les coups de bonne fortune en plein hiver n’avaient pas encore gâtés. Les habitants se rassemblèrent donc. On se consulta, on émit des opinions et Dieu sait s’il y en avait d’émises et de toutes sortes.

Les uns soutenaient que ce devaient être assurément des phoques, d’autres opinaient pour les poursiles, le plus grand nombre cependant croyaient aux loups-marins et c’est cette idée là qui devait l’emporter.

En un instant le village fut sur pied. L’élan, une fois donné, gagna bientôt le rang, sur la côte, puis se communiqua