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CHAPITRE XII

ANATHÈME ET BÉNÉDICTION !



Un vieillard, ce matin, m’a tendu sa main calleuse où la misère a mis sa rigide empreinte.

Il tremblottait, le vieux, mal habillé, et sa lèvre bleuie, murmurait tout bas : pour l’amour de Dieu !

Et j’ai dit à la neige : anathème ! puisque tu es l’horrible visiteuse qu’appréhendent les miséreux.

***

Hâvre, chétive, des grands yeux bleus cerclés de bistro, pieds nus, et les mains recroquevillées au bout des manches d’une misérable robe en loques : telle m’est apparue, hier, l’orpheline qui va de porte en porte, demander l’aumône d’un sou.

Et j’ai crié à la bise glaciale de novembre : Anathème ! toi qui ne respectes pas ces petits corps frêles, oiseaux de misère qui vont souffrant, quand tant d’autres jouissent et font le mal.

***

L’autre jour à travers le sentier qui fleurait bon à deux, nous marchions en silence.

Les fleurs semblaient plus vives, leur éclat prenait des teintes diverses dans l’irradiation des rayons solaires, et c’était plaisir d’aller au hasard, parmi la vie, les senteurs, les chansons et les bruits d’ailes.

Hier, par le même sentier, seul, j’ai cru marcher vers le cimetière. Plus de fleurs, pas même de chaumes au loin, plus de rayons, ni de chants, plus de parfums ni de vols légers :

La grande plaine est blanche, immobile et sans voix,
Pas un bruit, pas un son ; toute vie est éteinte :
L’hiver s’est abattu sur toute floraison.