Page:Gauvreau - Au bord du Saint-Laurent, 1923.djvu/80

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un fort, un colosse d’énergie malgré son apparence quasi maladive et fiévreuse.

On le porta à l’hôpital, délirant, brisé, n’ayant presque plus la forme humaine, car les pauvres nerfs du malade, attaqués profondément par l’action du froid et de la chaleur, se contractaient douloureusement, brisant cette forme humaine, la défigurant brutalement.

Sous les soins empressés des hommes de l’art, il ne tarda pas à venir en convalescence. Alors, il eut le temps de songer à sa vie misérable, privée des premières joies qui sont à l’enfance ce que les premières ondées du printemps sont à la terre qui renaît à la vie. Il se remémora les heures passées au foyer paternel sous le regard rigide d’un père sévère et égoïste, et il n’y trouvait pas ce que l’on appelle le bonheur.

Ses lèvres tendues à toutes les coupes n’avaient jamais goûté qu’un breuvage amer, et le souvenir de celle qui avait été sa mère se trouvait à garder peu de place dans son cœur ulcéré.

Il ne maudissait pas la vie ni les hommes, car il était robuste et ferme jusque dans les douleurs de tout genre ; mais il se sentait bien paria, bien misérable dans ce monde où il n’était venu que pour s’instruire froidement à la dure école des désenchantements, des rigueurs et des vicissitudes. Et les heures coulaient ainsi, parcourant la route du passé, route ardue, pénible où il ne voyait pas un sourire, pas un bon mot, rien de ce qui tombe d’une lèvre amie et qui se fraie un chemin à travers l’âme.

Un soir qu’il se sentait plus seul, il lui vint à l’idée de revoir son père. Car si j’allais mourir ainsi sans lui parler, sans lui dire au moins que je ne lui en veux pas de m’avoir fait la vie mauvaise ? Mais non, je ne puis pas le demander. C’est à lui, qui me sait malade, de venir à mon chevet. Ma figure brisée, mes membres encore à demi tordus par le mal maudit qui me ronge, lui parleront peut-être au cœur et il aura, pour la première fois de sa vie, une parole de compassion pour son fils ; et le marin malade s’endormit avec ces dernières pensées.

Le lendemain le Père H* était sur les quais, examinant les vaisseaux qui entraient ou sortaient de la rade de Québec. Un vieillard, marin comme lui, l’aborda en passant. Ton fils se