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ment il fallait un mouchoir pour essuyer les sueurs qui coulaient à ses tempes ; son front était pâle et déjà des rides s’y accentuaient.

Il est trois heures de l’après-midi ; le soleil est aux trois quarts de sa route. C’est au mois de septembre, et les parfums des fleurs, les chants si doux des hôtes des bois odoriférants, la brise tiède et les âcres senteurs montant de la grève, tout cela s’engouffre par la croisée ouverte et vient remplir l’appartement de George d’une atmosphère pure, limpide et réconfortant. Le ciel est bleu comme celui tant vanté de l’Italie, ce ciel de « Corine » ; la mer a des reflets d’acier sous les baisers d’un soleil attiédi. Partout la paix dans la nature. On travaille aux champs, à la ferme, de toute part. C’est une délicieuse après-midi qui fait dire parfois aux écoliers : Oh ! c’est péché d’être enfermé par une si belle journée ! « Qui de nous n’a pas dit ces paroles ? Oh ! on ne comprend pas alors que dans le monde il faut remuer, s’agiter au souffle de mille et une nécessités qui nous empêchent de souvent jouir de ces heures si douces ; au Collège, aux heures de repos, on jouit, car l’avenir ne nous occupe pas.

À cette heure de l’après-midi, nous trouvons George assis sur son lit de souffrance, adossé contre une pile d’oreillers moelleux et blancs comme de la neige. Sa lèvre est pendante : signes de douleurs non aiguës mais continuelles ; sa figure pâle et souffreteuse, les yeux languissants, la chevelure longue et négligée, les mains croisées sur les genoux, on le prendrait pour la statue de quelque martyre, un Saint Victor, venant d’expirer sous la lance d’un bourreau. Non loin de lui Alexandrine, sa fiancée, lit un passage de Lamartine où il raconte, en termes émus, les premières impressions de sa jeunesse.