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Quant à Alexandrine, voyez-là, sous un pin gigantesque dont les branches touffues donnent une ombre bienfaisante, et à elle et à son trop bien heureux compagnon, George. Ils sont bien seuls, tout près du lac, assis sur la mousse verte et soyeuse, parmi laquelle courent les courants qui ornent les autels du temple, aux beaux jours de mai. Nul bruit, si ce n’est celui de leur respiration ou le battement irrégulier de leurs cœurs émus. George est sans forces, auprès de cette enfant dont il ignore les sentiments. Aime-t-elle ? Son cœur, si innocent encore, connaît-il ce que c’est que l’amour, ce que cette passion fait souffrir comme elle sait rendre heureux et content ? Autant de questions que George se posait à lui même, sans pouvoir arriver à des conclusions sûres. Comment le savoir ? Elle est là, la chaste enfant, le dos appuyé au pin séculaire qui lui donne son ombre ; ses cheveux lui tombent sur le dos, bien que retenus auparavant ; son beau cou, protégé tout à l’heure par un fichu de soie, à la blancheur du marbre ; son chapeau de paille, entouré de fleurs sauvages cueillies par Mélas en chemin, repose à ses pieds, sur la mousse haute et verte. Il tombe de toute sa personne un charme exquis, qui captive George et le jette au sein d’une rêverie rose et sans fin. Il est seul avec elle ; il pourrait parler ; il le voudrait, mais il craint encore ; les paroles partent du cœur, pour expirer sur ses lèvres. Pourtant, il se sent joyeux et ravi, auprès d’Alexandrine qu’il aime tendrement. Il y a des chants suaves dans son âme ; son cœur se comptait dans cette extase pleine de quiétude qui laisse rien à envier aux plus heureux de ce monde.