Page:Gavarni - Grandville - Le Diable à Paris, tome 1.djvu/104

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menades et les guinguettes ! Considère-moi ces gros omnibus bien rebondis, bien bourrés de grisettes, qui vont au Ranelagh ou à Belleville. Compte ce qui sort, un jour de fête seulement, du quartier Saint-Jacques : les bataillons de modistes, les armées de lingères, les nuées de marchandes de tabac ; tout cela s’amuse, tout cela a ses amours ; tout cela va s’abattre autour de Paris, sous les tonnelles des campagnes, comme des volées de friquets. S’il pleut, cela va au mélodrame manger des oranges et pleurer ; car cela mange beaucoup, c’est vrai, et pleure aussi très-volontiers, c’est ce qui prouve un bon caractère. Mais quel mal font ces pauvres filles, qui ont cousu, bâti, ourlé, piqué et ravaudé toute la semaine, en prêchant d’exemple le dimanche l’oubli des maux et l’amour du prochain ? Et que peut faire de mieux un honnête homme, qui de son côté vient de passer huit jours à disséquer des choses peu agréables, que de se débarbouiller la vue en regardant un visage frais, une jambe ronde, et la belle nature ?

— Sépulcres blanchis, disait Eugène.

— Je dis et maintiens, continuait Marcel, qu’on peut et doit faire l’éloge des grisettes, et qu’un usage modéré en est bon. Premièrement, elles sont vertueuses, car elles passent la journée à confectionner les vêtements les plus indispensables à la pudeur et à la modestie ; en second lieu, elles sont honnêtes, car il n’y a pas de maîtresse lingère ou autre qui ne recommande à ses filles de boutique de parler au monde poliment ; troisièmement, elles sont très-soigneuses et très-propres, attendu qu’elles ont sans cesse entre les mains du linge et des étoffes qu’il ne faut pas qu’elles gâtent, sous peine d’être bien moins payées ; quatrièmement, elles sont sincères, parce qu’elles boivent du ratafia ; en cinquième lieu, elles sont économes et frugales, parce qu’elles ont beaucoup de peine à gagner trente sous, et s’il se trouve des occasions où elles se montrent gourmandes et dépensières, ce n’est jamais avec leurs propres deniers ; sixièmement ; elles sont très-gaies, parce que le travail qui les occupe est en général ennuyeux à mourir, et qu’elles frétillent comme le poisson dans l’eau dès que l’ouvrage est terminé. Un autre avantage qu’on rencontre en elles, c’est qu’elles ne sont point gênantes, vu qu’elles passent leur vie clouées sur une chaise dont elles ne peuvent pas bouger, et que par conséquent il leur est impossible de courir après leurs amants comme les dames de bonne compagnie. En outre, elles ne sont pas bavardes, parce qu’elles sont obligées de compter leurs points. Elles ne dépensent pas grand’chose pour leur