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UN BAL À L’HÔTEL DE VILLE
par gustave droz
I

À Madame de B***, à S… (Indre-et-Loire.)

J’y ai été, ma bonne chérie. J’avais une robe de mousseline blanche toute garnie de petits bouillons ; une neige, une crème fouettée. Ajoute à cela une large ceinture bleu-clair avec un nœud géant, comme on les porte. Sylvani m’avait coiffée en mousse, c’est-à-dire que mes cheveux étaient frisés, entortillés, mêlés, enchevêtrés ; — ça ne ressemble à rien, mais cela n’est pas laid du tout, et, ma foi, j’étais gentille. Paul me l’a dit, je me le suis dit aussi — j’étais gentille, et je te permets de le répéter.

Il faut te dire que la fête commence par un grand froid aux pieds. Trois jolis quarts d’heure de queue, on a beau dire, c’est long — c’est surtout long parce qu’on attend, parce qu’à travers les glaces de la voiture toutes couvertes de buée on aperçoit sur le trottoir des centaines de curieux à l’œil moqueur, au nez rouge de froid, qui vous regardent en riant. La lumière des becs de gaz se reflète sur tous ces curieux ; les sergents de ville pataugent dans la boue, courant de ci, courant de là, tandis que les gardes à cheval, sous leurs manteaux à grands collets, reçoivent avec soumission la pluie du ciel, dont les gouttelettes ruissellent en brillant sur leurs casques d’acier. — Au milieu de cette place boueuse et de ces gens transis, dont une glace me séparait, je sentais que je n’étais pas trop mal, et je m’en félicitais ; j’enfonçais mes pieds dans la fourrure, et je me faisais l’effet d’une plante rare dans une serre bien chauffée, lorsque la neige tombe au dehors.

Bientôt, j’ai aperçu la foule plus éclairée, j’ai vu un plus grand nombre de sergents de ville pataugeant, puis le roulement de la voiture est devenu plus sonore, — nous entrions sous une voûte, — et, après avoir traversé une cour pleine de laquais courant et de chevaux piaffant,