Page:Gavarni - Grandville - Le Diable à Paris, tome 2.djvu/189

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

passent devant vous, de définir la position sociale de celui auquel il appartient.

Personne ne niera que tous les généraux du monde n’aient des rapports entre eux et une physionomie commune. Le diplomate étranger ou français n’a-t-il pas un regard à lui, une mine à lui, et ainsi des autres ? Les femmes sont plus difficiles à reconnaître. Elles ont une finesse de tact qui les aide à se transformer à leur gré et à se copier l’une l’autre, grand but de leur vie : avoir l’air ; il est impossible d’admettre qu’un homme les déchiffre à livre ouvert.

Entre une femme jolie et une autre femme jolie il n’y a pas de différence appréciable, toutes les distinctions sociales s’effacent ; tandis qu’entre un bel homme et un autre bel homme il y a souvent un monde, il peut y avoir l’abîme qui sépare un coiffeur d’un ministre.

J’ai vu aussi la plus jolie femme de Paris ; je l’ai vue en cent endroits, à la fois blonde ou brune, petite ou grande ; elle se tient au milieu du salon, sur une chaise, s’il est possible, pour qu’en tournant l’on puisse voir ses épaules. Quand tout le monde est assis on la voit se lever tout à coup pour serrer la main d’une amie qui passe, surtout lorsque l’amie est moins jolie qu’elle. Elle parle continuellement, mais on sent que ses paroles n’ont aucune importance, c’est comme une basse continue qui accompagne son regard. Son regard ! toute son âme est là ! Elle les voile, les ouvre démesurément, les cache sous son éventail, ces yeux qui sont les plus beaux de Paris ! Ils causent, ces yeux, rient, pleurent, chantent. Ils sont chargés à mitraille, elle le sait et volontiers elle dirait aux gens qui passent : « Messieurs, prenez plus à gauche, je ne suis pas sûre de mon œil. » Du reste, étant depuis longtemps la plus jolie femme de Paris, elle est un peu gâtée et n’est contente de rien. Elle trouve les sièges trop durs, les salons trop chauds, les invités trop nombreux, les glaces détestables et les gâteaux aussi ; elle goûte à tout cela et le rejette bien vite sur le marbre du buffet en faisant la grimace, puis continue sa promenade qui ressemble à un triomphe, arrache une fleur en passant près d’un massif, laisse traîner pompeusement la queue de sa robe blanche et pousse un cri en s’affaissant si par malheur on marche dessus.

Près d’une fenêtre, un gros monsieur tâte le rideau de sa main dégantée. Forte chaîne au gilet, grand faux col, nœud tout fait à la cravate. Ce monsieur, qui paye ses contributions, trouve qu’une partie notable de ce rideau lui appartient, et fait part de cette idée à son épouse,