Page:Gavarni - Grandville - Le Diable à Paris, tome 2.djvu/51

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temps qu’on laissera croire à deux sots qui se seront rendus sur le terrain pour s’y embrasser et plumer des canards, ou au coquin qui vient de tuer un galant homme, qu’ils ont eu une affaire d’honneur ! Une statistique exacte et bien faite de tous les combats singuliers — singuliers est le mot propre pour la plupart — nous démontrerait bientôt, en effet, que, à peu d’exceptions près, les duels qui ne sont pas odieux touchent par quelque côté au ridicule. Or, si jamais on doit avoir raison de l’inexplicable monomanie qui met le pistolet à la main à des gens qui n’ont aucun motif sérieux et souvent aucune envie de se battre, ce sera par le ridicule.

« Est-ce à dire que je prétends que le duel puisse disparaître entièrement de nos mœurs ? Non ; mais je voudrais qu’il fût réglementé.

« Je voudrais qu’il y eut des magistrats du duel, une cour d’honneur devant laquelle devraient comparaître les gens qui auraient quelque bonne raison de vouloir s’ôter la vie. Ce tribunal, renouvelé de l’ancien temps, mais accommodé au progrès des mœurs, enverrait se battre ceux à qui une cause grave, sinon légitime, mettrait l’épée à la main. Il enverrait promener tous les autres en leur infligeant une amende ou, à défaut d’amende, quelques jours de prison, pour avoir abusé de ses moments. Des arbitres nommés par ce tribunal devraient égaliser les chances du combat. Ils ne souffriraient pas qu’un myope qui manquerait un bœuf à dix pas eût à se battre, dans des conditions d’inégalité honteuse pour son adversaire, contre un homme expert en l’art de faire mouche à tous coups. Quiconque transgresserait leur défense encourrait une peine sévère et inévitable. On se battrait encore, en un mot, pour venger l’honneur de sa femme, de sa fille, de sa sœur ou de sa mère ; on ne se battrait plus pour venger l’honneur des demoiselles qui n’ont en cela rien à perdre et rien à garder, et les duels de fantaisie coûteraient si cher, même au vainqueur, que la vogue finirait par s’en perdre. Je désirerais aussi qu’on tâchât d’empêcher ces scènes misérables qui, trop souvent, servent de préliminaires au duel de nos jours, et que tout homme coupable d’une brutalité, d’une offense matérielle envers celui dont il veut faire son adversaire, fût déclaré déchu du droit de tirer l’épée contre lui. L’homme qui met sa vie comme enjeu dans un combat déshonore sa cause en lui donnant pour préface une violence. C’est bien le moins qu’entre Français on ne puisse s’entre-tuer que poliment. Ce duel autorisé offrirait mille garanties que ne saurait donner le duel actuel, toujours clandestin par quelque côté. C’est une anomalie pour la loi que ce qu’elle