Page:Gavarni - Grandville - Le Diable à Paris, tome 2.djvu/71

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hutes empaillées et ces allées palissadées de treillage rustique, dans ces maisonnettes à petits carreaux, cachées dans le lierre, dans ces pignons élevés, ces mansardes d’une autre époque, un petit air vieillot qui vous rajeunit de quatre-vingts ans ; il semble que rien ne soit changé depuis Louis XVI, et j’y éprouve les mêmes impressions qu’au Petit-Trianon. J’apercevrais le vieux Duranton ou l’estimable Buffon, en ailes de pigeons et l’épée au côté, dans l’un de ces petits bosquets qui ont l’air de joujoux, que je ne serais pas étonné. — Oui, c’est bien là le Jardin du Roi, et le factionnaire devrait avoir la culotte courte, la grande guêtre noire et le lampion à cocarde.

Dans tous les pays d’Europe vous trouverez des ménageries plus riches et plus grandes que celle de Paris ; partout vous trouverez des allées plus larges, un emplacement plus vaste, des bâtiments plus grandioses et plus neufs, mais peu m’importe. Ce que j’aime, c’est précisément cette vieillerie, c’est cet amphithéâtre en forme de temple grec, devant lequel j’achetais des pains de seigle quand j’étais tout bambin, ce labyrinthe qui me semblait une montagne et qui me paraît si petit maintenant ; la lunette qui est en haut, et dans laquelle je regardais moyennant un sou, en montant sur un petit banc — et l’homme au chapeau graisseux qui disait de sa voix éraillée : À droite, au-dessus de la cheminée qui fume, vous apercevez…, etc. ! — Et quand la cheminée ne fumait pas on cherchait longtemps. — Comme il sentait le vin, cet homme ! Vous souvenez-vous aussi, sur les colonnes en fonte du kiosque, les centaines de noms de baptême et de cœurs enflammés ? — Comme cela m’intriguait, ces cœurs enflammés ! et lorsque je voyais, dans les petites allées étroites et sinueuses, toutes sombres, sous la verdure, le voltigeur au pompon jaune, cheminant près de sa payse, la main sur la poignée de son sabre, je suivais des yeux le pompon jaune, et je restais rêveur, tout en grignotant mon pain de seigle. Vers le milieu du labyrinthe, à l’endroit deux allées se réunissent, vous rappelez-vous le marchand de bagues en perles et de coco à la glace — à la glace ! — il était là, sous un arbre à petites feuilles, pimpant, gai près du treillage, auquel étaient accrochés des cerceaux, des cordes et des filets pleins de balles. Et le cèdre, avec ses bras immenses et son feuillage serré, sous lequel la voix devient sonore comme dans une église ! Je montais sur le banc de pierre qui entoure le géant, et l’histoire du chapeau qui avait contenu ce colosse me plongeait dans un océan de rêveries. Et les serres, et la fosse aux ours, avec son arbre où Martin ne montait jamais ! —