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rante pieds du sol, ceux-là appartiennent à la société, qui doit les garantir contre la cupidité de leurs parents. J’ai déjà remarqué d’ailleurs que, chez nous, de tous les âges, le moins protégé par le Code est précisément celui qui a le plus besoin de protection. Cela tient probablement à ce que les lois sont faites par les vieillards.


Retour des courses. — J’ai eu l’heur de rentrer dans mes foyers assez à temps pour assister au nouveau triomphe de Gladiateur déjà nommé. Indépendamment d’une grande quantité de poussière, j’ai rapporté du bois de Boulogne une profonde humiliation en voyant que mon malheureux pays en était arrivé à se rouler aux sabots d’un cheval. Newton, Voltaire, Victorien Sardou et les principes de 89 ne sont plus rien depuis huit jours. Tout homme qui ne tient pas à Gladiateur par un lien de parenté quelconque ne doit espérer d’avancement nulle part. J’avertis la compagnie des Petites-Voitures que leurs chevaux se croient maintenant dispensés d’avancer. J’en ai pris un, l’autre jour, qui faisait un pas toutes les dix minutes, et dont l’allure semblait me dire :

« Les hommes se trouvent bien heureux quand ils se font douze mille francs par an, et nous autres chevaux nous n’avons qu’à le vouloir énergiquement pour gagner deux millions en moins de quinze jours. En bonne justice, c’est vous qui devriez être attelé aux brancards, tandis que je serais assis dans la voiture. »

Il faut bien reconnaître que cet animal n’avait pas absolument tort, et que nous n’encourageons que trop de pareilles prétentions par nos folies hippiques. Ce qui, dimanche passé, m’invitait surtout à hausser les épaules, c’est l’affectation d’enthousiasme et les feux d’artifice de fausse joie qui ont éclaté au grand moment parmi les vingt-cinq mille lorettes et les quinze mille calicots venus pour jouir du succès de Gladiateur, comme si la noble bête leur appartenait. Que ces messieurs du Jockey-Club qui, pour la plupart, sont fort riches, mènent de front à peu près toutes les passions humaines, y compris celles des chevaux, rien de plus admissible. En Angleterre, une aristocratie toute-puissante a façonné le peuple à l’amour de la race chevaline ; mais chez nous ce genre d’éducation manque absolument. Parmi les cent mille Parisiens qui se pavanaient dimanche sur la piste, il s’en trouvait peut-être cinquante sachant à peu près de quoi il s’agissait. Si je prenais à part les