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Une de ses malices est celle-ci : une pièce s’appelle, par malheur, la Journée des Dupes :

« Tout bien considéré, j’ai bien peur que la journée des dupes n’ait été pour le public. »

La pièce était passable ; tant pis ! il fallait qu’il fît son mot.

Orateur, il monte à la tribune en s’écriant :

« Messieurs, le Pou-âr (c’est la prononciation parlementaire de pouvoir, comme cûeur est la prononciation dramatique de cœur), le Pou-âr veut nous mener aux abîmes ; ne le suivons pas sur ce terrain ! »

Économiste, il croit devoir démontrer la légitimité de la propriété, et il tire ses arguments de l’exemple des castors, ces industrieux animaux qui possèdent réellement animo domini ; journaliste, il s’exprime ainsi à la veille des cataclysmes :

« Nous ne sommes pas de ceux qui, dans les circonstances telles que celles où nous sommes momentanément placés, croiraient devoir exercer sur l’opinion de leurs concitoyens une influence par trop décisive. C’est pour nous un droit, nous irons plus loin, c’est un devoir de nous abstenir en pareille occurrence, et nous n’apprendrons rien à personne en disant avec Marcus Tullius Cicéron qu’il est des temps incertains où une réserve prudente est plus fertile en résultats fructueux qu’une agressive témérité. »

Le mobilier de Monsieur Prudhomme varie suivant la position sociale ; quelques généralités suffiront ; il a beaucoup aimé l’acajou, il le trahit maintenant pour l’imitation d’écaille ; de même qu’il avait abandonné les vases de fleurs artificielles pour les produits de la potichomanie ; il a un petit jardinier en bois colorié au fond de son parterre, et dans son cabinet il entretient sous un globe de verre un Napoléon en chocolat. Il vénère le ruolz ; il met de fausses manches pour faire aller sa chemise un jour de plus.

Monsieur Prudhomme est de tout. Il compose studieusement sa future épitaphe, et attache à sa personne un tas de petits titres dérisoires et abstraits, comme on attache des grelots au cou d’un épagneul : Président du comité de surveillance des intérêts locaux, secrétaire-archiviste du comité central de désinfection publique, correspondant honoraire de l’athénée du Beauvaisis, délégué cantonal, rapporteur, commissaire, etc. Nul n’est plus heureux que lui quand il peut dire, en parlant de lui-même, à sept ou huit personnes qui bâillent : Votre président, messieurs, ne se dissimule pas, etc. Enfin le signe de l’honneur aidant, avec la