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droyée… Elle a été transportée à l’hospice… On désespère de ses jours…

Les voisins étaient trop pauvres pour recueillir les deux petits orphelins, le magistrat les a fait conduire dans la maison des Jeunes-Détenus… En prison ! L’un a cinq ans, l’autre sept ans ; la loi les considère comme vagabonds.

Sans doute, à cette heure, leur mère est morte…

Leur sœur aînée n’a que quinze ans. Elle est mère et jetée au milieu de la corruption contagieuse des prisons !

Pour ces orphelins… quel avenir !…

Pour cette infortunée déjà mère… quel avenir !…

Et pour cet enfant qui doit naître sous les verrous… quel avenir !…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Au moment où je sortais de cette maison, un homme à la démarche chancelante et avinée a paru à la porte de la sombre allée demandant d’une voix enrouée :

« Arsène Remi ?… »

J’ai reconnu l’homme à la face ignoble, le don Juan de ruisseau… le séducteur de cette malheureuse !

La colère a fait bouillir mon sang. Je suis sorti brusquement, et, profitant de ce que le misérable m’avait légèrement heurté, le saisissant au collet, je l’ai jeté sur le pavé ; sa tête rebondit sur une borne. Je m’éloignais lentement, je l’ai entendu m’adresser quelques injures empreintes d’un lâche courroux.

Et le crime de cet homme restera impuni ; au-dessus de onze ans, lorsqu’il n’y a ni violence, ni enlèvement, ni détournement, la jeune fille est réputée librement consentante.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Malheureuse créature, à jamais perdue sans doute, est-ce donc à la précocité du vice qu’il faut attribuer sa chute ?… Non… mais à la position que la misère lui a faite ; privée de la surveillance tutélaire de sa mère, forcément jetée dans les rues de Paris, en proie à toutes les obsessions, elle a succombé, comme tant d’autres, à l’une des mille influences de la misère,

La misère, répétons-le, cette fatalité des temps modernes !

eugène sue.