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— Jolies, oui, s’écria un vrai lion, existence inconnue, dont la spécialité avait un certain côté artistique qui consistait à protéger la fantaisie de l’art ; jolies, ouï, mais ce sont des bourgeoises.

— Ah ! messieurs, reprit le fils du potier, l’ancienne noblesse faisait cas des bourgeoises.

— Pardieu ! reprit le lion artiste, les bourgeoises d’autrefois, ça se conçoit. Des jeunes filles qui ne savaient rien de rien ; des femmes qui n’en savaient guère plus, enfermées dans la pratique des pieux devoirs de la famille ; pour qui les plaisirs du monde, les arts, la littérature étaient d’un domaine où elles ne pouvaient aspirer ; qui regardaient un homme de cour comme le serpent tentateur de la Genèse. Pénétrer dans cette vie, y jeter l’amour, le désordre, jouer avec cette ignorance de toutes choses, l’étonner comme on fait à un enfant avec des contes de fées, cela pouvait être fort amusant, et je comprends parfaitement la passion du maréchal de Richelieu pour madame Michelin. Mais les bourgeoises d’aujourd’hui, douées pour la plupart d’une moitié d’éducation fausse, dont elles se servent avec une imperturbable impertinence pour ne s’étonner de rien ; des virtuoses qui jouent les sonates de Steibelt et qui décident entre Rossini et Meyerbeer en faveur du Postillon de Longjumeau, des bas-bleus qui lisent madame Sand comme étude, et qui dévorent M. Paul de Kock avec bonheur ; des artistes qui se font peindre par M. Dubuffe et qui enluminent des lithographies ; des femmes enfin qui ont des opinions sur l’assiette de l’impôt et sur l’immortalité de l’âme ! c’est ignoble, et je comprends tout l’ennui de Sterny. Elles vont le regarder comme une bête curieuse, et Dieu sait si elles ne le mesureront pas à l’aune de quelque beau courtaud de boutique qui aura fait douze couplets pour le mariage, qui découpera à table, qui chantera au dessert, qui dansera toute la nuit et qui sera proclamé l’homme le plus aimable de la société. »

Là-dessus le lion alluma son cigare, alla s’asseoir sur une chaise, en mit une sous chacune de ses jambes et regarda passer le boulevard. Tous les autres lions s’empressèrent de se livrer à des occupations de cette importance, et il ne fut plus question de Léonce Sterny.

II

Cependant celui-ci était arrivé à la rue Saint-Martin. Ce jour-là notre lion n’avait aucun rendez-vous ; il n’y avait ni courses, ni bois, et il ne