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Léonce eut peur que ce ne fût pas lui ; mais lorsqu’il vit que depuis qu’il était là elle ne cherchait plus, il éprouva un nouveau bonheur, un bonheur si vif qu’à son tour il en eut peur.

Cette peur ne pouvait rester une incertitude dans le cœur de Léonce, comme dans le cœur de Lise ; il se demanda ce qu’il éprouvait et rougit en lui-même.

« Ah ! çà, se dit-il, mais je fais l’enfant, je deviens fort ridicule ; leur vin frelaté m’a monté à la tête. Je suis gris, ou le diable m’emporte ! Ça n’est pas possible ! »

Et pour s’assurer qu’il n’était pas homme à se laisser dominer par une émotion d’enfant, il se mit à regarder Lise.

Lise dansait avec un beau jeune homme, aussi beau que le lion, d’une élégance simple, et qui parlait à sa danseuse avec une aisance parfaite, lui disant sans doute des choses assez intéressantes pour qu’elle l’écoutât avec soin, assez bien dites pour qu’elle y répondît par de petits signes d’assentiment.

À cet aspect, il se passa toute une révolution dans le cœur du lion ; il se compara à quelqu’un ; il se compara à un homme qui pouvait être un marchand de cotonnade, et il trouvait que rien ne lui assurait un avantage sur cet homme.

Léonce éprouva un désappointement bien plus cruel, quand il vit le visage de Lise tranquille, heureux. La pauvre enfant n’avait d’autre bonheur que d’avoir aperçu le regard de Léonce attaché sur elle, que d’en éprouver une joie, une fierté, un ravissement qu’elle ne redoutait plus, car il n’était pas à ses côtés, et le contact de sa main, le son de sa voix ne la faisaient plus trembler.

Un singulier doute pénétra dans le cœur de Sterny :

« Est-ce que cette candide enfant serait une coquette d’arrière-boutique ? » se dit-il.

« Ah ! vraiment, c’est trop d’ambition, ma belle ; vous êtes jolie, mais vos prétentions sont trop impertinentes. »

Comme il pensait cela en regardant Lise, le visage de Léonce prit une expression de hauteur et de dédain, et la douce enfant l’ayant regardé à ce moment fut si surprise de se voir regardée ainsi, qu’elle en devint pâle et que ses yeux fixés sur Léonce semblèrent lui dire :

« Eh bien ! qu’avez-vous ? qu’est-ce que je vous ai fait, mon Dieu ? » Et tout aussitôt elle n’écouta plus son danseur et se trompa trois fois en dansant.