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Page:Gay - La Duchesse de Chateauroux - Drame.pdf/12

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Scène VI.

Mlle HÉBERT, LA MARQUISE.


Mlle HÉBERT. Qu’est-ce que cela signifie ?…

LA MARQUISE, vivement. Allez dire à Germain et à ses camarades que je leur donne congé pour le reste de la journée ; je ne veux être servie que par vous seule. Ce soir, ma chère mademoiselle Hébert, le duc de Richelieu et un… de ses amis doivent venir partager mon souper ; vous nous le servirez vous-même, là, sur cette petite table.

Mlle HÉBERT. Je suis bien aux ordres de madame ; mais c’est que je n’ai pas l’habitude de servir à table, et monsieur le duc de Richelieu est accoutumé à être si bien…

LA MARQUISE. N’importe. Il faut, avant tout, que cette entrevue soit secrète.

Mlle HÉBERT. De ma part, il n’y a rien à craindre ; mais monsieur le duc de Richelieu est-il aussi sûr de la discrétion de l’ami qu’il amène ?

LA MARQUISE. Oh ! parfaitement !… (Avec embarras.) Et quand vous aurez vu cet ami, vous devinerez qu’il est le plus intéressé au secret.

Mlle HÉBERT. Ah ! je le connais ?

LA MARQUISE. Oui.

Mlle HÉBERT. Il est venu souvent ici, peut-être ?

LA MARQUISE. Jamais.

Mlle HÉBERT. Ce n’est donc pas le neveu de monsieur le duc de Richelieu, cet aimable duc d’Agénois, qui aime tant madame, et qu’elle doit épouser ?

LA MARQUISE. Non ; le duc d’Agénois est encore à l’armée.

Mlle HÉBERT. Mais il reviendra bientôt, et rien ne s’opposera plus à son bonheur. N’est-ce pas, madame ?

LA MARQUISE, avec embarras. Ce mariage ne se fera point ; je veux rester libre.

Mlle HÉBERT. Libre !… Ah ! madame ! est-ce avec tant de beauté, de séduction et de sensibilité qu’on peut rester libre ? Tenez, pardonnez à la franchise de votre vieille gouvernante ; mais je parierais bien que de tous ceux qui vous aimeront, nul ne vaudra le duc d’Agénois.

LA MARQUISE. C’est possible, mais j’ai juré de ne jamais être à lui. Ah ! ma chère Hébert !… ma vieille amie ! je ne puis plus être heureuse !

Mlle HÉBERT. Vous, madame ?

LA MARQUISE. Mais ce malheur, je l’accepte ; je le veux ; je n’ai pas le droit de m’en plaindre. Quelles que soient les apparences, croyez que je mérite encore l’estime de tous ceux qui m’accusent, et que j’espère la mériter toujours.

Mlle HÉBERT. Et qui oserait la refuser à la femme la plus noble, la plus pure qui soit au monde ?

LA MARQUISE. Ceux qui jugent d’après eux, et qu’une démarche mystérieuse trouve toujours sévères.

Mlle HÉBERT. Que pourrait-on vous reprocher ?

LA MARQUISE. La visite que j’attends, et pour laquelle je réclame votre discrétion ; je dis plus, votre confiance… Le roi va venir.

Mlle HÉBERT. Quoi ! cet ami du duc de Richelieu…

LA MARQUISE. C’est le roi lui-même. Il exige un entretien de moi, d’où dépend le sort de ma sœur, de mon beau-frère…

Mlle HÉBERT, avec crainte. Le roi !…

LA MARQUISE. Au secret de cette visite est attachée ma réputation, ma vie peut-être. C’est à vous seule, ma chère Hébert, que je me fie dans ce péril. Éloignez mes gens ; veillez à ce que la porte s’ouvre sans bruit au signal convenu, et que personne ne voie qu’il entre ici deux hommes déguisés. Avant tout, faites dire au concierge que je ne suis visible pour personne… (Les deux battants du salon s’ouvrent.) Oh ! ciel ! il n’est plus temps.

Mlle Hébert sort.





Scène VII.

LA MARQUISE, LA MARQUISE DE MIREPOIX, DUVERNEY.


GERMAIN, annonçant. Madame la marquise de Mirepoix ; monsieur Paris Duverney.

Mme DE MIREPOIX. Vous ne nous attendiez pas, je pense ; le roi est souffrant, ou plutôt de mauvaise humeur, et le jeu de la reine a fini sitôt, que, ne sachant plus que faire du reste de notre soirée, nous avons décidé qu’on souperait chez moi ; et je viens vous enlever, car il n’est pas de plaisir sans vous.

LA MARQUISE, avec embarras. Vous êtes trop bonne… mais je… ne…

DUVERNEY. Ah ! point de mauvaises raisons. Nous vous trouvons seule, sans projet, un peu triste… il est de notre devoir de vous arracher à vous-même.

Mme DE MIREPOIX. Sans doute. N’allez-vous pas vous renfermer parce qu’il plaît à la cabale de Maurepas d’ameuter contre vous le cardinal et ses vieilles dévotes ?… Ce serait leur faire trop beau jeu, vraiment.

LA MARQUISE, à part. Il va venir ! quel supplice !