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On s’explique aisément cette prééminence, à regarder sur les murs du Grand Palais la suite des reproductions gravées qui s’y développent. Elles nous apprennent tout ce que peut une interprétation personnelle pour l’intelligence d’un chef-d’œuvre. Les modèles choisis sont ici des plus variés, et l’on demande aux procédés les plus divers les effets les plus différents. Tandis qu’en une vigoureuse lithographie, M. P. Toupey reproduit ce vieux portrait de l’école française qui représente Guillaume, baron de Montmorency, M. Mayeur réclame du burin l’interprétation d’une esquisse poétique de Prud’hon, ou de ces subtils portraits de Ricaird que la Gazette a publiés. M. Langeval fait du portrait de Jacob Muffel par Dürer, un bois expressif. Mlle Schwartz, de même, a recours au bois pour rendre un Christ de Holbein, et, s’inspirant aussi de Holbein, M. Vyboud grave au burin un caractéristique Portrait de Soutswell. Dans son Portrait de Georges Rodenbach, la pointe de M. Lequeux rivalise en délicatesse avec le pastel de M. Lévy-Dhurmer. M. Bessé se fait l’interprète d’une Nativité de Luini, M. Mathey-Doret d’une Promenade matinale de Gainsborough, et les paysagistes français ont de fidèles traducteurs en M. Chauvel, M. Lopisgich et M. Brunet-Debaines. M. Théophile Chauvel a trouvé de beaux noirs pour reproduire un Troyon, et M. Brunet-Debaines a su jeter sur les Étangs de Ville-d’Avray la vapeur légère qui plaisait à Corot. C’est, dans chacune de ces reproductions, le mérite éminent du graveur d’avoir exprimé tout le sens qu’une minutieuse étude de l’œuvre aimée, une longue intimité, une attentive compréhension, lui avaient pu lentement révéler. À cause de ce caractère d’analyse pénétrante, il est heureux que les droits de la gravure de reproduction soit jalousement sauvegardés ; son triomphe sur les procédés mécaniques doit demeurer incontesté. Quels que soient le rôle et l’utilité des procédés mécaniques, c’est la gravure qui reste l’interprétation humaine par excellence, celle qui porte en elle le plus de pensée et le plus de beauté.

La gravure de peintre a trouvé depuis longtemps déjà un asile librement ouvert à la Société Nationale. Voici que, d’année en année, elle entre aussi à la Société des Artistes français. Assurément, elle n’y est point encore accueillie avec de grands honneurs ; il advient qu’elle occupe le second rang, ou même qu’elle trouve place seulement dans les galeries. Mais elle est présente et non sans éclat. C’est ainsi que M. Vibert expose trois gravures sur bois originales : les Bords de la Bièvre, le Glaisier, et surtout cet expressif Portrait de Constantin Meunier que la Gazette est heureuse de pu-