Page:Gazette des Beaux-Arts, vol 32 - 1904.djvu/285

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ou à Venise, au Lido ; les bateaux ont des airs de gondole. De près, on oublie la présentation, qui est des plus agréables, pour entrer avec joie dans le détail des fonds, des eaux, du feuillage, des terrains et dans l’atmosphère chaude de ce beau soir d’été sur le fleuve.

Les œuvres qu’il nous semble encore utile de citer, tant pour leur valeur que pour la description du développement de Turner, datent des dix dernières années de sa vie. Entre Mortlake, de 1827, et le Mariage de l’Adriatique, de 1840, auquel nous nous sommes arrêtés plus haut, les peintures intermédiaires sont les tableaux d’inspiration classique déjà nommés. Nous entrons dans la période glorieuse qui suivit le dernier voyage d’Italie, nous arrivons aux œuvres contemporaines de l’Agrippine débarquant avec les cendres de Germanicus et du Téméraire (1839), qui, avec La Tempête de neige (1842) et Pluie, vitesse et fumée (1844), ne laissent aucun visiteur amoureux d’art quitter la National Gallery sans enfin admirer Turner. Il en fut tout autrement de son vivant. Ces œuvres et d’autres moins éclatantes lui coûtèrent le succès. Dès 1833 et ses premières peintures vénitiennes, le grand artiste ne fut plus compris. Devant des peintures où l’originalité s’installait maîtresse, le public anglais des expositions de la Royal Académy déclara de l’aversion.

Rosenau, le château du prince Albert à Cobourg, est tout à fait caractéristique de la dernière manière de Turner. Comme la maison dans Somer Hill, le château, rose, se dresse au dernier plan dans des valeurs de fond. Toute l’importance est donnée aux eaux du premier plan. Elles sont pures, calmes et fluides, et, dans des colorations toutes nouvelles et hardies, se reflètent des oppositions de soleil et de nue, d’azur et de feuillage. Et puis, à côté de cette toile vibrante, voici encore deux intenses impressions de Venise : La Giudecca (1841) et le Campo Santo (1842). Dans la Giudecca on aperçoit les dômes de Venise dans les gris perlés de l’horizon, sous un ciel bleu ensoleillé où planent de petits nuages rosés ; les eaux, sillonnées de gondoles, passent d’un bleu splendide à un vert pâle et des tons d’or. Le Campo Santo est dans des teintes roses sous un ciel azuré à nuées blanches ; dans les eaux se reflète la blancheur des grandes voiles d’une felouque. Dans ces vues de Venise, c’est l’abandon d’une Italie linéaire pour un rêve de couleur. La Bouée de naufrage (The wreck buoy) est de l’année 1849. Après les merveilleuses productions de 1839 à 1845, il y a, dans la carrière de Turner, comme dans la fin d’un beau jour après un brillant coucher de soleil, un