Page:Gerès - Sériac, 1888.djvu/6

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Elle le laissa persifler à son aise :

— « Follette ne demande rien pour elle-même.

— Alors ?

— Alors !… j’ai une fille…

— Que je devienne le mari de ta fille !

— Elle a vingt ans, poursuivit Follette sans se préoccuper des exclamations de Sériac, je lui ai donné une éducation soignée que beaucoup de femmes du monde envieraient. Ainsi l’ai-je voulu, croyant la prémunir contre nos dangers, à nous autres femmes. Hélas ! est-ce la destinée qui tenait à me punir, dans ce que j’avais de plus cher ici-bas ? Mais mes plans furent déjoués et la fille a suivi… l’exemple de la mère… Tu vois, je ne te cache rien. »

Sériac était anéanti : tout cela lui semblait si étrange, qu’il s’était calmé en écoutant ; la surprise paralysait sa langue ; c’est à peine s’il pouvait relier deux idées.

— Oh ! combien dur est notre sort ! continua Follette, qu’il est pénible d’être mère en de semblables conditions. Vivre loin de son enfant, n’en recevoir que de rares caresses, être sevrée de toutes les satisfactions et ne supporter de cette maternité, si consolante et si douce pour tant d’autres, que les inquiétudes, les charges et même les remords !… Mais je comprends que nous n’excitions pas la pitié : c’est justice ! Cependant, il faut bien nous défendre, nous n’avons qu’un temps pour plaire ; c’est à ce moment-là que nous devons songer à assurer notre lendemain, et à suppléer par l’indépendance… au respect et à l’estime dont nous nous privons.

« Pauvre enfant ! j’ai pourtant voulu la marier, ajouta-t-elle plus doucement. Mais elle a trop tôt connu sa fortune et m’a refusé l’homme simple et honnête qui l’aurait rendue heureuse. Son instruction même fut un obstacle à ce mari, le seul qu’il était en mon pouvoir de lui donner ; après avoir débuté par une passion, qui fut bien vite déçue, elle glisse aujourd’hui sur la pente fatale ! Mais on ignore qu’elle est ma fille. Et puisqu’il me faudra toujours te la nommer… c’est la maîtresse du baron de Langedach !

— Elle !… l’excentrique Julia, ta fille ?… Elle pour femme !… Tu es folle !…

— Oui, c’est en pensant à elle que j’ai fini par accepter la situation que tu m’as faite et dont je n’avais certes nul besoin. Oui, je veux la tirer du bourbier où elle s’enfonce. De Langedach la possède comme tant d’autres, mais il ne l’épousera pas. Et alors, après lui, un second, puis un troisième… c’est horrible, horrible !… Que je lui trouve un homme à la hauteur de ses ambitions, elle reviendra d’elle-même, trop heureuse, malgré les caprices de sa jeunesse, de réparer ses torts et de fixer sa vie. Or, toi… toi seul es capable d’opérer cette transformation. Certainement elle a entendu parler de