Page:Germaine de Stael - Lettres et pensées du maréchal prince de Ligne, Paschoud, 1809.djvu/91

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Je juge le monde et le considère comme les ombres chinoises, en attendant le moment où la faulx du tems me fera disparoître. Neuf ou dix campagnes que j’ai faites[1], une douzaine de batailles ou d’affaires que j’ai vues, viennent ensuite se présenter à moi comme un songe. Je pense au néant de la gloire qu’on ignore, qu’on oublie, qu’on envie, qu’on attaque et qu’on révoque en doute ; et une partie de ma vie pourtant, me dis-je à moi-même, s’est passée à chercher à la perdre, cette vie, en courant après cette gloire. Je n’attaque pas ma valeur, elle est peut-être assez brillante ; mais je ne la trouve pas assez pure : il y entre de la charlatanerie. Je travaille trop pour la galerie. J’aime mieux la valeur de mon cher bon Charles, qui ne regarde pas si on le regarde. Je m’examine encore. Je me trouva une vingtaine de défauts ; ensuite je pense au néant de l’ambition. La mort m’a enlevé ou m’enlèvera bientôt la faveur de quelques grands hommes de guerre, et de quelques grands Souverains. Le caprice, l’inconstance, la méchanceté me feront perdre mes espérances. L’intrigue m’éloignant de tout, me fera

  1. C’étoit avant les campagnes turques qui suivirent bientôt.