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un silence éternel ; c’est pour m’acquitter de cette obligation que je vous ai fait venir.

Cet exorde imposant me disposa à écouter avec attention ce que le Prieur allait me dire. Il reprit ainsi la parole :

— Je ne vous crois pas de ces esprits faibles que le mot de fouterie effarouche. Vous connaissez assez la nature pour savoir que l’action de foutre est aussi naturelle à l’homme que celle de boire et de manger. Nous sommes moines, il est vrai, mais on ne coupe ni le vit ni les couilles quand nous entrons dans le cloître. L’imbécilité de nos fondateurs et la cruauté des hommes ont voulu nous interdire une fonction aussi naturelle : elles n’ont fait qu’irriter nos désirs. Comment donc apaiser ces flammes que la nature elle-même a allumées dans notre cœur ? Fallait-il, pour exciter la compassion des fidèles, aller nous branler dans les rues et dans les carrefours ? Fallait-il, pour nous conformer à leurs idées tyranniques, brûler continuellement d’un feu qui ne peut s’éteindre que par la mort ? Non. Autant qu’il nous a été possible, nous avons tâché de garder un milieu entre l’austérité que la qualité de moines semble exiger de nous, et les faiblesses de la nature. Ce milieu est de donner tout à celle-ci dans l’intérieur des cloîtres, et le plus que nous pouvons à l’austérité dans l’extérieur. Pour cet effet, dans les couvents bien réglés, on a un certain nombre de femmes avec qui l’on trouve un soulagement contre la concupiscence que nous avons reçue d’Adam. On va dans leurs bras oublier les déboires de la pénitence.

— Vous me surprenez, lui dis-je, mon Révérend Père ! Ah ! pourquoi faut-il qu’une si belle police n’étende pas sa sagesse jusque sur nous ?