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On ne me dit rien le lendemain sur mon absence ; on la regarda comme un reste du ressentiment que je devais avoir du traitement que l’on m’avait fait. Je gardai un air fier qui confirma cette pensée. J’assistai comme les autres à l’Office ; toutes mes compagnes communièrent, moi je ne communiai pas, et, à te dire vrai, je m’étais mise au-dessus de la honte de ne pas suivre leur exemple. L’amour dissipe bien des préjugés. La présence de mon petit amant, que je voyais rôder dans l’église, me dédommageait assez. Plus d’une parmi mes compagnes aurait bien quitté au même prix la nourriture spirituelle où elles couraient.

Je jetais sur mon amant plus de regards amoureux que je n’en jetais de dévotion sur l’autel. Aux yeux d’une femme du monde, Martin n’aurait été qu’un polisson : à mes yeux, c’était l’amour même : il en avait la jeunesse, il en avait toutes les grâces. La connaissance de son mérite caché me faisait passer légèrement sur la négligence de son extérieur. Je m’aperçus cependant qu’il s’était accommodé ce jour-là et qu’il tâchait de se donner meilleur air qu’à l’ordinaire. Je lui sus bon gré de son attention, que j’aimai mieux attribuer à l’envie de me plaire qu’au mérite de la fête qu’on célébrait. Rien n’échappe aux yeux d’une amante. Je le voyais qui jetait les yeux du côté des pensionnaires et tâchait de me découvrir. Je ne voulais pas qu’il me reconnût ; j’avais soin de me cacher ; mais j’aurais été fâchée qu’il n’eût pas pris cette peine inutile. Que veux-tu ? j’en étais amoureuse, mais amoureuse à la rage. Juge si j’attendis avec impatience que la nuit fut venue pour lui tenir la parole que je lui avais donnée.

Elle vint enfin, cette nuit si ardemment souhaitée. Minuit sonna. Ah ! que je sentis alors de trouble ! je