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HISTOIRE DE LA DÉCADENCE

telle, on ne pouvait se dispenser d’avouer qu’ils méritaient, sinon des adorations, du moins la vénération du genre humain. Les divinités d’un millier de bocages, d’un millier de sources, jouissaient en paix de leur influence locale ; et lorsque le Romain conjurait la colère du Tibre, il ne pouvait mépriser l’habitant de l’Égypte enrichissant de ses offrandes la bienfaisante divinité du Nil. Les puissances visibles de la nature, les planètes et les élémens, étaient les mêmes dans tout l’univers : les gouverneurs invincibles du monde moral ne pouvaient être représentés que par des fictions et des allégories entièrement semblables. Toutes les vertus, tous les vices, devinrent autant de divinités. Chaque art, chaque profession, reconnut parmi les habitans du ciel un protecteur dont les attributs, dans les siècles et les contrées les plus éloignées, tenaient au caractère particulier de ses adorateurs. Une république de dieux, si opposés de caractère et d’intérêt, avait besoin, dans tous les systèmes, de la main régulatrice d’un magistrat suprême : c’est ce magistrat que les progrès des connaissances et de l’adulation revêtirent graduellement des perfections et des titres sublimes de père éternel, de monarque tout-puissant[1]. La douceur de l’esprit de l’antiquité était

  1. Les droits, la puissance et les prétentions du souverain de l’Olympe, sont très-nettement décrits dans le quinzième livre de l’Iliade ; j’entends dans l’original grec, car Pope, sans y penser, a fort amélioré l’idéologie d’Homère.