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HISTOIRE DE LA DÉCADENCE

mais lorsque les puissances consulaire et tribunitienne furent réunies, lorsqu’une seule personne s’en trouva

    attendre et qu’on aurait pu en obtenir : il y avait, dans la manière même dont elle fut organisée, des obstacles qui l’empêchèrent souvent de servir utilement le peuple et de contrebalancer le pouvoir, parfois oppressif, du sénat. Le peuple, en ne leur donnant que le droit de délibérer, pour se réserver celui de ratifier leurs décisions, avait cru conserver une apparence de souveraineté, et n’avait fait que renverser l’appui qu’il venait de se donner. « Les sénateurs, dit de Lolme, les consuls, les dictateurs, les grands personnages qu’il avait la prudence de craindre et la simplicité de croire, continuaient à être mêlés avec lui et à déployer leur savoir-faire ; ils le haranguaient encore ; ils changeaient encore le lieu des assemblées ; … ils les dissolvaient ou les dirigeaient ; et les tribuns, lorsqu’ils avaient pu parvenir à se réunir, avaient le désespoir de voir échouer, par des ruses misérables, des projets suivis avec les plus grandes peines et même les plus grands périls. (De Lolme, Constitut. d’Angleterre, chap. 7, tome II, page 11.)

    On trouve dans Valère-Maxime un exemple frappant de l’influence que les grands exerçaient souvent sur le peuple, malgré les tribuns et contre leurs propositions : dans un temps de disette, les tribuns ayant voulu proposer des arrangemens au sujet des blés, Scipion-Nasica contint l’assemblée en leur disant : « Silence, Romains ; je sais mieux que vous ce qui convient à la république : Tacete quæso, Quirites ; plus enim ego quàm vos quid reipublicæ expediât, intelligo. » – Quâ noce auditâ, omnes pleno venerationis silentio, majorem ejus autoritatis quàm suorum alimentorum curam egerunt. Cette influence fut telle, que les tribuns furent souvent les victimes de la lutte qu’ils engagèrent avec le sénat, bien qu’en plusieurs occasions ils soutinssent les