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DE L’EMPIRE ROMAIN. CHAP. III.

climat plus heureux, un asile assuré, une fortune proportionnée à ses talens, la liberté d’élever la voix, peut-être même les moyens de se venger. Mais l’Empire romain remplissait l’univers ; et lorsqu’il fut gouverné par un seul homme, le monde entier devint une prison sûre et terrible, d’où l’ennemi du souverain ne pouvait échapper. L’esclave du despotisme luttait en vain contre le désespoir : soit qu’il fût obligé de porter une chaîne dorée à la cour des empereurs, ou de traîner dans l’exil sa vie infortunée, il attendait son destin en silence à Rome, dans le sénat, sur les rochers affreux de l’île de Sériphos ou sur les rives glacées du Danube[1]. La résistance eût été fatale, la fuite impossible ; partout une vaste étendue de terres et de mers s’opposait à son passage ; il courait à tout moment le danger inévitable d’être découvert, saisi et livré à un maître irrité. Au delà des frontières, de quelque côté qu’il tournât ses regards inquiets, il ne rencontrait que le redoutable océan, des contrées désertes, des peuples ennemis, un langage barbare, des mœurs féroces, ou enfin des rois dépendans, disposés à acheter la protection de l’empereur par le sacrifice

  1. Sériphos, île de la mer Égée, était un petit rocher dont on méprisait les habitans, plongés dans les ténèbres de l’ignorance. Ovide, dans ses plaintes fort justes, mais indignes d’un homme, nous a bien fait connaître le lieu de son exil. Il paraît que ce poète reçut simplement ordre de quitter Rome en tant de jours, et de se rendre à Tomes. Les gardes ni les geôliers n’étaient pas nécessaires.