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NOTICE SUR LA VIE

ingénieuse comme il le dit lui-même pour un jeune homme de cet âge, est curieuse, en ce qu’elle annonce l’esprit qui devait présider un jour à la composition historique sur laquelle repose sa réputation. Voici le détail tel qu’il est rapporté dans ses Mémoires, « Dans la version des livres sacrés, dit-il, le grand-prêtre Manéthon fait une seule et même personne de Séthosis ou Sésostris, et du frère aîné de Danaüs, qui débarqua en Grèce, selon les marbres de Paros, quinze cent dix ans avant Jésus-Christ ; mais selon ma supposition, le grand-prêtre s’est rendu coupable d’une erreur volontaire. La flatterie est mère du mensonge ; l’histoire d’Égypte de Manéthon est dédiée à Ptolémée Philadelphe, qui faisait remonter son origine ou fabuleuse ou illégitime aux rois macédoniens de la race d’Hercule. Danaüs est un des ancêtres d’Hercule, et la branche aînée ayant manqué, ses descendans, les Ptolémées, se trouvaient les seuls représentans de la famille royale, et pouvaient prétendre par droit d’héritage au trône qu’ils occupaient par droit de conquête. » Un flatteur pouvait donc espérer de faire sa cour en représentant Danaüs, la tige des Ptolémées, comme le frère des rois d’Égypte ; et dès qu’un mensonge avait pu être utile, Gibbon supposait le mensonge. Le Siècle de Sésostris fut discontinué, jeté au feu plusieurs années après, et Gibbon renonça à concilier les antiquités judaïques, égyptiennes et grecques, perdues, dit-il, dans un nuage éloigné : mais ce fait, qu’il a conservé, m’a paru remarquable en ce qu’il me semble y reconnaître déjà l’historien de la Décadence de l’Empire romain et de l’établissement du Christianisme. Ce critique qui, toujours armé du doute et de la probabilité, cherchant toujours dans les passions ou l’intérêt des écrivains qu’il consulte de quoi combattre ou modifier leur témoignage, n’a presque rien laissé de positif et d’entier dans les crimes et dans les vertus dont il a fait le tableau.