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NOTICE SUR LA VIE

nisme ; si j’avais prévu la vivacité des sentimens qu’ont éprouvés ou feint d’éprouver en cette occasion les personnes pieuses ou timides, ou prudentes, j’aurais peut-être adouci ces deux derniers chapitres, objet de tant de scandale, qui ont élevé contre moi beaucoup d’adversaires, en ne me conciliant qu’un bien petit nombre de partisans. » Cette surprise semble annoncer la préoccupation d’un homme tellement rempli de ses idées, qu’il n’a ni aperçu, ni pressenti celles des autres ; et si cette préoccupation prouve incontestablement sa sincérité, elle rend son jugement suspect de prévention et d’inexactitude. Partout où règne la prévention, la bonne foi n’est jamais parfaite : sans vouloir précisément tromper les autres, on commence par s’abuser soi-même ; pour soutenir ce qu’on regarde comme la vérité, on se laisse aller à des infidélités qu’on ne s’avoue pas ou qui paraissent légères, et les passions diminuent de l’importance d’un scrupule en raison de celle qu’elles mettent à le surmonter. C’est ainsi, sans doute, que Gibbon fut entraîné à ne voir, dans l’histoire du christianisme, que ce qui pouvait servir des opinions qu’il s’était formées avant d’avoir scrupuleusement examiné les faits. L’altération de quelques-uns des textes qu’il avait cités, soit qu’il les eût tronqués à dessein, soit qu’il eût négligé de les lire en entier, fournit des armes à ses adversaires, en leur donnant des raisons de soupçonner sa bonne foi. Tout l’ordre ecclésiastique parut ligué contre lui ; ceux qui le combattirent obtinrent des dignités, des grâces, et il se félicitait, avec ironie, d’avoir valu à M. Davis une pension du roi, et au docteur Apthorpe la fortune d’un archevêque (an archiepiscopal living). On peut croire que le plaisir de railler de la sorte des adversaires qui l’avaient presque toujours attaqué avec plus d’acharnement que de discernement, le dédommagea du chagrin, que lui