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HISTOIRE DE LA DÉCADENCE

duite qui peut-être était dictée par la prudence et par la modération. Ce soupçon pouvait trouver quelque fondement dans le caractère singulier d’Adrien, capable tour à tour des sentimens les plus bas et les plus élevés : cependant il ne pouvait faire briller avec plus d’éclat la supériorité de son prédécesseur, qu’en s’avouant lui-même trop faible pour conserver les conquêtes de Trajan.

Contraste d’Adrien et d’Antonin-le-Pieux.

Le génie martial et ambitieux de l’un formait un contraste singulier avec la modération de l’autre, et l’infatigable activité de celui-ci ne paraîtra pas moins remarquable, si on la compare avec la douce tranquillité d’Antonin-le-Pieux, son successeur. La vie d’Adrien ne fut presque qu’un voyage perpétuel. Doué des talens de l’homme de guerre, de l’homme de lettres et de l’homme d’état, ce prince satisfit tous ses goûts, en se livrant aux soins de son empire. Insensible à la différence des saisons et des climats, il marchait à pied et tête nue dans les neiges de la Calédonie et dans les plaines embrasées de la Haute-Égypte. Il n’y eut pas une province qui, dans le cours de son règne, ne fût honorée de la présence du souverain[1], au lieu qu’Antonin passa des jours paisibles dans le sein de l’Italie : pendant les vingt-trois années que ce prince, si digne d’être aimé, tint les rênes du gouvernement, ses plus longs voyages

  1. Dion, l. LXIX, p. 1158 ; Hist. Aug., p. 5, 8. Si tous les ouvrages des historiens étaient perdus, les médailles, les inscriptions et les autres monumens de ce siècle, suffiraient pour nous faire connaître les voyages d’Adrien.