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Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 11.djvu/117

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femmes, aux femmes qui ne vous ont jamais fait aucun tort, et qui n’ont d’autres armes que leur quenouille et leur fuseau ? « Thibaut ayant nié le fait, déclara que depuis les Amazones, il n’avait pas ouï parler d’une guerre contre des femmes : « Eh quoi ! reprit-elle furieuse, pouviez-vous nous attaquer d’une manière plus directe ? pouviez-vous nous blesser dans une partie plus sensible, que vous ne le faites en privant nos maris de ce que nous aimons le plus, de la source de nos plaisirs, et de l’espérance de notre postérité ? Vous avez enlevé nos troupeaux, je l’ai souffert sans murmure ; mais cette fatale injure, cette perte irréparable, a lassé ma patience, et appelle sur vos têtes la justice du ciel et celle des hommes. » On applaudit à son éloquence par des éclats de rire ; les sauvages Francs, inaccessibles à la pitié, furent touchés d’un désespoir raisonnable autant que plaisant, et, outre la délivrance des captifs, elle obtint la restitution de ses biens. Comme elle retournait en triomphe au château, un messager vint lui demander, au nom de Thibaut, quel châtiment il faudrait infliger à son mari, si on le reprenait les armes à la main. « Si tel est son crime et son malheur, répondit-elle sans hésiter, il a des yeux et un nez, des mains et des pieds ; ces choses lui appartiennent, et il peut mériter de les perdre par ses délits ; mais que mon seigneur et maître daigne épargner ce que sa petite servante ose réclamer comme sa propriété particulière et légitime[1]. »

  1. Luitprand, Hist., l. IV, c. 4 ; dans les Rerum italic.