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Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 12.djvu/84

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Misère des Grecs.

Dans cette grande révolution, nous avons l’avantage de pouvoir comparer les relations de Villehardouin et de Nicétas, les sentimens opposés du maréchal de Champagne et du sénateur de Byzance[1]. Il semblerait au premier coup d’œil que les richesses de Constantinople ne firent que passer d’une nation chez l’autre, et que la perte et la douleur des Grecs furent exactement compensées par la joie et l’avantage des Latins ; mais dans le jeu funeste de la guerre, le gain n’égale jamais la perte ; et les jouissances sont faibles en comparaison des calamités. Les Latins n’obtinrent qu’un plaisir illusoire et passager ; les Grecs pleurèrent sur la ruine irréparable de leur patrie ; le sacrilége et la raillerie aggravaient leur misère. Que revint-il aux vainqueurs des trois incendies qui détruisirent une si grande partie des richesses et des édifices de Constantinople ? Quel profit tirèrent-ils des objets qu’ils brisèrent ou mutilèrent parce qu’ils ne pouvaient pas les transporter, de l’or qu’ils prodiguèrent au jeu ou en débauches ? Combien d’objets précieux les soldats ne donnèrent-ils pas à vil prix par ignorance ou par impatience ; dépouillés ainsi du prix de leur victoire par l’adresse des plus vils d’entre les Grecs ! Parmi ces

  1. Nicétas décrit d’une manière pathétique le sac de Constantinople et ses malheurs personnels (p. 367-369, et dans le Status urbis C. P., p. 375-384) ; Innocent III (Gesta, c. 92) confirme la réalité même des sacriléges que déplorait Nicétas ; mais Villehardouin ne laisse apercevoir ni pitié ni remords.