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Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 7.djvu/201

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Après une vie glorieuse et pleine de vertus, Théodoric descendait au tombeau accompagné de la honte et du crime ; le souvenir du passé humiliait son esprit, et il se sentait avec justice poursuivi de la terreur d’un avenir inconnu. On raconte qu’à la vue d’un gros poisson qu’on servit un soir sur sa table[1], il s’écria tout à coup qu’il apercevait le visage irrité de Symmaque ; que ses yeux respiraient la fureur et la vengeance, et que sa bouche, armée de longues dents, allait le dévorer. Le monarque se retira chez lui sur-le-champ ; et, au milieu du frisson de la fièvre qui le pénétrait et le faisait trembler sous un amas de couvertures, il témoigna à son médecin Elpidius, par des mots entrecoupés, son profond repentir des meurtres de Boëce et de Symmaque[2]. Sa maladie fit des progrès, et après une dyssenterie qui dura trois jours, il mourut dans le palais de Ravenne la trente-troisième année de son règne, ou la trente-septième, si l’on compte depuis l’invasion de l’Italie. Lorsqu’il se sentit à son dernier moment, il partagea ses trésors et ses provinces entre ses deux petits-fils,

  1. Cassiodore, entraîné par son imagination, donne la variété des poissons de mer et d’eau douce comme une preuve d’un domaine étendu, et il a soin de dire (Var., XII, 14) qu’on servait sur la table de Théodoric ceux du Rhin, de la Sicile et du Danube. Le monstrueux turbot de Domitien (Juvénal, Satir. III, 39), avait été pris sur les côtes de la mer Adriatique.
  2. Procope, Goth., l. I, c. 1. Mais il aurait dû nous dire si des bruits populaires l’avaient instruit de cette anecdote curieuse, ou s’il la tenait de la bouche du médecin du roi.