Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 8.djvu/271

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maines de l’équité primitive aux derniers excès de l’injustice, les pas se font en silence, les nuances sont presque imperceptibles, et des lois positives, une raison artificielle, viennent enfin consacrer le monopole universel. Le principe de l’amour de soi, toujours en activité et toujours insatiable, peut seul fournir aux arts de la vie sociale et aux émolumens de l’industrie ; et dès que le gouvernement civil et la propriété exclusive se sont établis, ils deviennent nécessaires à l’existence de la race humaine. Excepté dans les singulières institutions de Sparte, les législateurs les plus sages n’ont vu la loi agraire que comme une innovation injuste et dangereuse. Chez les Romains, la disproportion des richesses passa de bien loin les limites idéales que lui imposaient une tradition incertaine et une loi tombée en désuétude. Selon la tradition, deux jugera (arpens)[1] devaient être à jamais l’héritage des enfans les plus pauvres de Romulus ; la loi bornait à cinq cents arpens ou trois cent douze acres d’Angleterre, les domaines du plus riche citoyen. Le territoire de Rome ne fut d’abord composé que de quelques milles de bois et de prairies situés sur les bords du Tibre, et les échanges domestiques ne pouvaient rien ajou-

  1. Varron détermine l’heredium des premiers Romains (De re rusticâ, l. I, c. 2, p. 141 ; c. 10, p. 160, 161, édit. Gesner). Les déclamations de Pline (Hist. nat., XVIII, 2) obscurcissent cette matière. On trouve sur ce point des remarques justes et savantes dans Administration des terres chez les Romains, p. 12-66.