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et exclusivement attiré par l’autre sexe, je prétends que, complètement abandonné à sa particulière initiative, l’homme aurait assez de mal à oser le geste précis, et ne saurait l’inventer pas toujours, et s’y montrerait d’abord malhabile.

— L’amour a toujours guidé l’amoureux.

— Guide aveugle ; et puisque déjà vous employez ce mot : amour, que je voulais encore réserver — j’ajoute : l’amant sera d’autant plus malhabile qu’il sera plus amoureux ; oui, que de plus réel amour s’accompagnera son désir ; oui, dès que son désir ne sera plus uniquement égoïste, il pourra craindre de blesser l’être aimé. Et tant qu’il ne sera pas instruit par quelque exemple, fût-ce celui des animaux, par quelque leçon ou quelque initiation préalable, soit enfin par l’amante elle-même…

— Parbleu ! comme si le désir de l’amant ne devait trouver un complément suffisant dans le désir réciproque de l’amante !

— Je n’en suis pas plus convaincu que ne l’était Longus. Souvenez-vous des erreurs, des tâtonnements de Daphnis. Quoi ! n’a-t-il pas besoin, ce grand maladroit d’amoureux, qu’une courtisane l’instruise ?

— Les maladresses et les lenteurs dont vous parlez, ne sont là que pour fournir à ce roman si nu quelque étoffe et quelque aventure.

— Non, non ! Sous un léger revêtement d’afféterie, je reconnais dans ce livre admirable une profonde science de ce que M. de Gourmont appelle la Physique de l’Amour, et je tiens l’histoire de Daphnis et Chloé pour exemplairement naturelle.

— Où prétendez-vous en venir ?