Page:Gide - Dostoïevsky, 1923.djvu/158

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Souvenez-vous aussi de Dmitri Karamazov, entre Grouchenka et Nastasia Ivanovna. Souvenez-vous de Versiloff.

Je pourrais citer maint autre exemple.

On peut penser : l’un de ces amours est charnel, l’autre mystique. Je crois cette explication par trop simple. Au demeurant, Dostoïevsky n’est jamais parfaitement franc sur ce point. Il nous invite à mainte supposition, mais nous abandonne. Ce n’est guère qu’à la quatrième lecture de l’Idiot que je me suis avisé de ceci, qui maintenant me paraît évident : c’est que toutes les sautes d’humeur de la générale Épantchine à l’égard du prince Muichkine ; c’est que toute l’incertitude d’Aglaé elle-même, la fille de la générale et la fiancée du prince, pourraient bien venir de ce que l’une et l’autre de ces deux femmes (la mère surtout, il va sans dire) flairent quelque mystère dans la nature du prince, et que l’une et l’autre ne sont pas précisément bien sûres que le prince puisse faire un mari suffisant. Dostoïevsky insiste à plusieurs reprises sur la chasteté du prince Muichkine, et certainement cette chasteté remplit d’inquiétude la générale, la future belle-mère :

Quoi qu’il en soit, une chose certaine, c’est qu’il se sentait au comble du bonheur par ce fait seul qu’il pouvait encore aller voir Aglaé, qu’on lui permettait de lui parler, de s’asseoir à côté d’elle, de se promener avec elle, et — qui sait ? — peut-être se serait-il contenté de cela toute sa vie.