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ISABELLE

— Non ; je saurai bien le trouver. À tantôt. Je vous reverrai sans doute, Delphine et vous, avant de partir.

Le saccage des bûcherons paraissait plus atroce encore à ce moment de l’année où tout s’apprêtait à revivre. Dans l’air attiédi les rameaux déjà se gonflaient ; des bourgeons éclataient et, coupée, chaque branche pleurait sa sève. J’avançais lentement, non point tant triste moi-même qu’exalté par la douleur du paysage, grisé peut-être un peu par la puissante odeur végétale que l’arbre mourant et la terre en travail exhalaient. À peine étais-je sensible au contraste de ces morts avec le renouveau du printemps ; le parc, ainsi, s’ouvrait plus largement à la lumière qui baignait et dorait également mort et vie ; mais cependant, au loin, le chant tragique des cognées, occupant l’air d’une solennité funèbre, rythmait secrètement les battements heureux de mon cœur, et la vieille lettre d’amour, que j’avais emportée, dont je m’étais promis de