Page:Gide - L’Immoraliste.djvu/178

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est possédé, reprit-il. – Versez-vous du Chiraz, cher Michel ; vous n’en goûterez pas souvent ; et mangez de ces pâtes roses que les Persans prennent avec. Pour ce soir je veux boire avec vous, oublier que je pars demain, et causer comme si cette nuit était longue… Savez-vous ce qui fait de la poésie aujourd’hui et de la philosophie surtout, lettres mortes ? C’est qu’elles se sont séparées de la vie. La Grèce, elle, idéalisait à même la vie ; de sorte que la vie de l’artiste était elle-même déjà une réalisation poétique ; la vie du philosophe, une mise en action de sa philosophie ; de sorte aussi que, mêlées à la vie, au lieu de s’ignorer, la philosophie alimentant la poésie, la poésie exprimant la philosophie, cela était d’une persuasion admirable. Aujourd’hui la beauté n’agit plus ; l’action ne s’inquiète plus d’être belle ; et la sagesse opère à part.

– Pourquoi, dis-je, vous qui vivez votre sagesse, n’écrivez-vous pas vos mémoires ? – ou simplement, repris-je en le voyant