Page:Gide - L’Immoraliste.djvu/190

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respiré que des poussières, tant pénétrait mielleusement en moi l’atmosphère. Du talus où je m’étais assis, comme grisé, je dominais la Morinière ; je voyais ses toits bleus, les eaux dormantes de ses douves ; autour, des champs fauchés, d’autres pleins d’herbes ; plus loin, la courbe du ruisseau ; plus loin, les bois où l’automne dernier je me promenais à cheval avec Charles. Des chants que j’entendais depuis quelques instants se rapprochèrent ; c’étaient des faneurs qui rentraient, la fourche ou le râteau sur l’épaule. Ces travailleurs, que je reconnus presque tous, me firent fâcheusement souvenir que je n’étais point là en voyageur charmé, mais en maître. Je m’approchai, leur souris, leur parlai, m’enquis de chacun longuement. Déjà Bocage le matin m’avait pu renseigner sur l’état des cultures ; par une correspondance régulière, il n’avait d’ailleurs pas cessé de me tenir au courant des moindres incidents des fermes. L’exploitation n’allait pas mal, beaucoup mieux que Bocage ne me le laissait