Page:Gide - L’Immoraliste.djvu/194

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par l’instinct ; il ne faisait jamais rien que de subit, et cédait à toute impulsion de passage. Il n’était pas de ce pays ; on l’avait embauché par hasard. Excellent travailleur deux jours, il se soûlait à mort le troisième. Une nuit j’allai furtivement le voir dans la grange ; il était vautré dans le foin ; il dormait d’un épais sommeil ivre. Que de temps je le regardai !… Un beau jour il partit comme il était venu. J’eusse voulu savoir sur quelles routes… J’appris le soir même que Bocage l’avait renvoyé.

Je fus furieux contre Bocage ; le fis venir.

– Il paraît que vous avez renvoyé Pierre, commençai-je. Voulez-vous me dire pourquoi ?

Un peu interloqué par ma colère, que pourtant je tempérais de mon mieux :

– Monsieur ne voulait pourtant pas garder chez lui un sale ivrogne, qui débauchait les meilleurs ouvriers…

– Je sais mieux que vous ceux que je désire garder.