Page:Gide - L’Immoraliste.djvu/227

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complet changement de santé… Marceline, elle, a besoin de luxe ; elle est faible… ah ! pour elle je veux dépenser tant et tant que… Et je prenais tout à la fois l’horreur et le goût de ce luxe. J’y lavais, j’y baignais ma sensualité, puis la souhaitais vagabonde.

Cependant Marceline allait mieux, et mes soins constants triomphaient. Comme elle avait peine à manger, je commandais, pour stimuler son appétit, des mets délicats, séduisants ; nous buvions les vins les meilleurs. Je me persuadais qu’elle y prenait grand goût, tant m’amusaient ces crus étrangers que nous expérimentions chaque jour. Ce furent d’âpres vins du Rhin ; des Tokay presque sirupeux qui m’emplirent de leur vertu capiteuse. Je me souviens d’un bizarre Barba-grisca, dont il ne restait plus qu’une bouteille, de sorte que je ne pus savoir si le goût saugrenu qu’il avait se serait retrouvé dans les autres.

Chaque jour nous sortions en voiture ; puis en traîneau, lorsque la neige fut tom-