Page:Gide - L’Immoraliste.djvu/26

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Car je suis à tel point de ma vie que je ne peux plus dépasser. Pourtant ce n’est pas lassitude. Mais je ne comprends plus. J’ai besoin… J’ai besoin de parler, vous dis-je. Savoir se libérer n’est rien ; l’ardu, c’est savoir être libre. – Souffrez que je parle de moi ; je vais vous raconter ma vie, simplement, sans modestie et sans orgueil, plus simplement que si je parlais à moi-même. Écoutez-moi :


La dernière fois que nous nous vîmes, c’était, il m’en souvient, aux environs d’Angers, dans la petite église de campagne où mon mariage se célébrait. Le public était peu nombreux, et l’excellence des amis faisait de cette cérémonie banale une cérémonie touchante. Il me semblait que l’on était ému, et cela m’émouvait moi-même. Dans la maison de celle qui devenait ma femme, un court repas, sans rires et sans cris, vous réunit à nous au sortir de l’église ; puis la voiture commandée nous emmena, selon l’usage qui