Page:Gide - La Symphonie pastorale.pdf/30

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est tard, et l’on n’y voit pas suffisamment. Je veillerai pour entretenir le feu auprès duquel dormira la petite. Demain nous lui couperons les cheveux et la laverons comme il faut. Tu ne commenceras à t’occuper d’elle que quand tu pourras la regarder sans horreur. Et je la priai de ne point parler de cela aux enfants.

Il était l’heure de souper. Ma protégée, vers laquelle notre vieille Rosalie, tout en nous servant, jetait force regards hostiles, dévora goulûment l’assiette de soupe que je lui tendis. Le repas fut silencieux. J’aurais voulu raconter mon aventure, parler aux enfants, les émouvoir en leur faisant comprendre et sentir l’étrangeté d’un dénuement si complet, exciter leur pitié, leur sympathie pour celle que Dieu nous invitait à recueillir ; mais je craignis de raviver l’irritation d’Amélie. Il semblait que l’ordre eût été donné de passer outre et d’oublier l’événement encore qu’aucun de nous ne pût assurément penser à rien d’autre.