Page:Gide - Les Nourritures terrestres.djvu/100

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Et certes, aussi moi je les aime,
Mortels tressaillements de mon âme,
Joies du cœur, joies de l’esprit —
Mais c’est vous, plaisirs, que je chante.

Joies de la chair, tendres comme l’herbe,
Charmantes comme les fleurs des haies
Fanées plus vite, ou fauchées, que les luzernes des prairies
Que les désolantes spirées qui s’effeuillent dès qu’on les touche.

La vue — le plus désolant de nos sens…
Tout ce que nous ne pouvons pas toucher nous désole ;
L’esprit saisit plus aisément la pensée
Que notre main ce que notre œil convoite.
— Ô ! que ce soit ce que tu peux toucher que tu désires —
Nathanaël, et ne cherche pas une possession plus parfaite.


Les plus douces joies de mes sens
Ç’ont été des soifs étanchées.



Certes, délicieuse est la brume, au soleil levant sur les plaines —
Et délicieux le soleil —
Délicieuse sous nos pieds nus la terre humide
Et le sable mouillé par la mer ;
Délicieuse à nous baigner fut l’eau des sources ;
À baiser, les inconnues lèvres que mes lèvres touchèrent dans l’ombre…